Les fonds alternatifs face à leur succès
Source : Paperjam News
Auteur : Josephine Shillito
Le marché devra de toute urgence mettre à niveau ses process afin de pouvoir pleinement saisir ce potentiel.
Les produits alternatifs – c’est-à-dire la dette privée, l’immobilier, les infrastructures, le capital-investissement et le capital-risque – ont toujours attiré les grands investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension et les fonds souverains. Cependant, les investisseurs particuliers s’aventurent peu à peu dans ce domaine à la recherche du Saint-Graal de l’investissement : le rendement.
Pour Arnaud Bon, associé chez Deloitte, les placements alternatifs offrent une combinaison optimale de performance à long terme et de décorrélation avec les marchés boursiers. Ils offrent aussi une composante psychologique importante : l’implication. « Un investisseur en actions n’a pas le sentiment d’avoir un impact sur les sociétés dans lesquelles il détient des titres. L’investissement alternatif vous donne le ressenti d’être impliqué », déclare-t-il en faisant référence aux investissements de dettes privées dans les petites entreprises et au capital-investissement. Cette approche de plus en plus consciente de l’investissement fait partie d’une tendance plus large et se reflète bien dans la croissance de la demande d’investissements ESG.
Ces affirmations sont par ailleurs étayées. Le rendement du crédit privé, selon les analystes de S&P Global, a atteint 100 points de base de plus que les prêts syndiqués en 2020, et les buy-outs européens, le plus grand segment du capital-investissement étudié par l’association européenne de capital-investissement Invest Europe dans son rapport Benchmark 2020, ont délivré un rendement annualisé de 15,06% depuis leur création jusqu’à fin 2020, contre 5,48% pour l’indice MSCI Europe sur la même période.
Cependant, ces fonds ne sont pas aussi faciles d’accès pour les investisseurs particuliers avertis que ceux du marché public. « Il y a une énorme demande de la part des particuliers fortunés (définis au sens large comme ceux qui ont plus d’un million de dollars d’actifs investis) pour des investissements alternatifs, mais l’offre ne peut pas répondre à la demande et les deux parties sont très frustrées. »
Un plus grand nombre d’investisseurs individuels
Selon Leon Volchyok, directeur général en charge de l’immobilier chez la société d’investissement Blackstone, les HNWI représentent une opportunité d’investissement « gargantuesque ». « Nous estimons que les HNWI représentent un marché de 80.000 milliards de dollars, mais seulement une fraction de ce montant est actuellement investie dans l’espace alternatif. »
L’Europe s’est empressée de saisir cette opportunité d’investissement en utilisant l’European long-term investment fund (ELTIF), une structure qui permet aux investisseurs professionnels et aux particuliers de l’Union européenne d’investir dans des entreprises et des projets illiquides autrefois réservés aux investisseurs institutionnels.
Mais une telle réglementation de soutien ne relève qu’une partie du défi. Selon les acteurs du marché, les fonds d’investissement alternatifs et leurs prestataires de services vont devoir revoir des procédures opérationnelles obsolètes pour avoir un quelconque espoir d’attirer et de satisfaire ce nouveau groupe d’investisseurs.
Arnaud Bon explique : «lLe marché des fonds alternatifs attire généralement des investisseurs institutionnels importants, capables d’investir des dizaines de millions et de les immobiliser pendant au moins cinq ans ou plus. Les défis que représente le traitement de 15 à 20 investisseurs institutionnels sont très différents de ceux de centaines ou de milliers de HNWI ».
Les processus de connaissance du client (KYC) et les processus de lutte contre le blanchiment d’argent (AML), en particulier, sont plus exigeants lorsqu’ils sont appliqués à une base d’investisseurs plus grande et plus diverse.
Étoffer les équipes de back-office n’est pas la solution. « Il y a déjà des problèmes pour attirer les talents au Luxembourg et, de toute façon, le besoin potentiel est plus grand que le nombre de personnes que le marché est capable de recruter », déclare Arnaud Bon. Mais quelques solutions sont en préparation.
Véhicules d’alimentation en actifs alternatifs
La taille du marché HNWI au Luxembourg n’est pas définie, mais les clients de la banque privée constituent une estimation raisonnable de la taille potentielle de ce marché. Selon Luxembourg for Finance, le marché luxembourgeois de la banque privée compte 466 milliards d’euros d’actifs sous gestion.
« Alors que la collecte de fonds pour les investisseurs institutionnels était généralement un exercice individuel, nous voyons des gestionnaires de patrimoine avec des clients de la banque privée s’associer à des gestionnaires de fonds et mettre en place un véhicule d’alimentation en actifs alternatifs. » Ces véhicules peuvent accueillir 70 à 80 investisseurs fortunés, ce qui réduit considérablement les difficultés de traitement pour les gestionnaires de fonds alternatifs.
« Le nombre d’investisseurs par fonds nourricier ne cesse de croître », déclare Peter Wilson, directeur général de ScalingFunds, un fournisseur de technologie pour le secteur des fonds alternatifs qui utilise la technologie DLT (Distributed Ledger Technology) pour rationaliser les processus opérationnels des fonds d’investissement alternatifs. « Historiquement, 99% des fonds d’investissement alternatifs étaient détenus par des investisseurs institutionnels, tels que les fonds de pension et les family offices, mais, aujourd’hui, vous voyez de nombreux investisseurs individuels disposant de plus d’un million d’euros de liquidités investir via des fonds nourriciers dans des fonds d’investissement alternatifs. »
Les banques privées voient maintenant l’opportunité des fonds nourriciers pour offrir à leurs clients une exposition aux actifs alternatifs. Certaines vont même jusqu’à créer leurs propres structures de fonds nourriciers, déclare Peter Wilson. « C’est un processus plus fluide et plus rapide à mettre sur le marché. »